Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Tag - XXème siècle

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samedi, mars 31 2012

Un Tueur Peut En Cacher Un Autre - Corinne Hermann & Philippe Jeanne ( II )

Hermann et Jeanne démontrent donc qu'il est parfaitement irresponsable de vouloir raisonner "à l'américaine" quand on se trouve face à un tueur européen. Au mieux, cela bloquera l'enquête, au pire, cela la détournera de sa véritable voie. Ils plaident également pour une meilleure coordination entre les juges ayant en charge des dossiers de disparitions et d'assassinats, et qui, en unissant leurs efforts, auraient mis beaucoup plus rapidement hors de nuire un Francis Heaulme ou un Michel Fourniret. (L'une des rares ressemblances entre tueurs en série américains et européens - mais elle est de taille - c'est la capacité des uns comme des autres à tirer avantage d'un système judiciaire qui, ici comme à New-York mais pour des raisons différentes, enferme policiers et magistrats dans leur juridiction, les rendant sourds et aveugles à ce qui se passe dans celle d'à-côté, là où pourtant l'assassin qu'ils recherchent s'est prudemment enfui afin de poursuivre en paix son oeuvre de mort.)

Nos deux auteurs insistent aussi sur la nécessité faite à la société dans son ensemble d'étudier les tueurs en série mis sous les verrous et, ainsi, de tenter de prévenir les actes de ceux restés à l'extérieur. Technique déjà pratiquée aux Etats-Unis et qu'il faudrait bien entendu adapter à notre propre système pénitentiaire - même si les inévitables Droitdel'hommistes hurleront une fois de plus au scandale en cherchant à transformer d'immondes bourreaux en malheureuses victimes. Enfin, ils mettent en garde contre le redoutable jeu des remises de peine qui libère sans complexe des violeurs et des pédophiles récidivistes alors que, inexorablement, tôt ou tard, ceux-ci seront amenés à passer au degré supérieur du crime.

La thèse est étayée par l'étude de cas bien connus en France : l'adjudant Chenal et les Disparus de Mourmelon, Francis Heaulme qui poussait systématiquement au viol des complices choisis au hasard pourvu qu'ils eussent un mode de locomotion (le "Routard du Crime" n'avait pas permis de conduire), Thierry Paulin et son amant, Maturin, les "tueurs de Vieilles Dames" de l'Est parisien, etc, etc ... A l'exception du premier chapitre, on ne tombe jamais dans le pathos. Il n'y a pas non plus de complaisance malsaine. Rien que du solide, du grave, du sérieux - et du passionné, par deux passionnés.

A lire. Absolument.;o)

jeudi, mars 15 2012

Staline : La Cour du Tsar Rouge - Simon Sebag Montefiore

Stalin : The Court of the Red Tsar Traduction : Florence La Bruyère et Antonina Roubichou-Stretz

Extraits

Ce livre, scindé en deux tomes - 1929/1941 d'une part et 1941/1953 d'autre part - pour les besoins de l'édition, complète "Le Jeune Staline""Le Jeune Staline|fr] dont nous avons déjà parlé. Le point de vue de Montefiore, à mille lieues des préoccupations d'un Ian Kershaw, n'a pas changé : il essaie d'expliquer Staline le Dictateur, Staline l'Organisateur de massacres en série, Staline le Coryphée (un titre qu'il aimait, paraît-il) de la Déportation en masse, par Staline l'homme, ce qu'il a laissé apparaître d'humain, en mal comme en bien, dans ce qu'il fut. Tâche ardue s'il en est quand on songe à la carrure historique du personnage ici mis en cause. Mais tâche honorable et on ne peut plus passionnante qui, sans justifier, sans pardonner, tente au moins d'expliquer.

Aux failles enregistrées chez le "camarade Koba" au temps de sa jeunesse de terroriste et de chef de bandes, toujours à l'affût de fonds à braquer afin de constituer une trésorerie valable à un Lénine qui se la coulait douce dans son exil helvète, Montefiore ajoute ici celle qui, selon lui, fut "la goutte d'eau" qui fit déborder le vase : la mort brutale, officiellement par suicide même si l'on accusa Staline de l'avoir assassinée dans une crise de colère, de sa seconde et dernière épouse, Nadejda Sergueïevna Allilouïeva.

Déjà, en 1907, lorsqu'il était revenu en catastrophe de l'un de ses mystérieux voyages pour assister aux derniers moments de sa première femme, Ekaterina Svanidze, morte à vingt-sept ans soit de la tuberculose, soit du typhus, Staline avait montré une affliction qu'on peut croire sincère même si, bien entendu et ainsi qu'il le laissa entendre, la victime dans l'histoire, c'était lui et non pas celle qui venait de le quitter pour toujours. Mais le passage à l'acte de Nadejda éveilla chez lui un désespoir encore plus absolu, probablement parce que Staline, de vingt-cinq ans l'aîné de la disparue, avait déjà cinquante-six ans en 1932 et parce qu'il était bien trop intelligent pour ne pas se rendre compte qu'il était impossible de corriger les nombreuses erreurs qu'il avait commises dans sa vie privée.

Selon Montefiore, qui puise ses sources dans les mémoires longtemps non autorisés des proches du dictateur, ceux qu'il liquida comme ceux qu'il laissa vivre, Staline le Monstre est né de ce suicide qui confirmait, non seulement à ses yeux mais aussi à ceux du monde soviétique et même du monde entier, l'échec de Staline l'être humain. Bien sûr, jusque là, Staline n'avait jamais fait dans la dentelle. Il comptait à son actif pas mal d'attentats et d'assassinats. Mais si horribles qu'ils fussent, ces meurtres étaient tous politiques : il s'agissait surtout d'éliminer les ennemis des bolcheviks, puis certains bolcheviks eux-mêmes qui voyaient d'un mauvais oeil la confiscation du pouvoir par le Géorgien.

A compter de la mort de Nadejda, tout change et chacun, qu'il fasse partie des familiers ou qu'il n'ait jamais vu le dictateur qu'en photo, peut devenir l'ennemi de Staline - et, par conséquent, est susceptible de se voir arrêté, fusillé ou déporté du jour au lendemain. La paranoïa qui rampait en lui dès son passage dans la clandestinité, paranoïa somme toute normale dans de telles conditions d'existence où il ne fallait accorder l'intégralité de sa confiance à personne, cette paranoïa propre au terroriste à travers l'Histoire se libère alors des quelques chaînes qui la maintenaient encore en respect. A un Staline qui a déjà vécu plus d'un demi-siècle,il ne reste plus que le Pouvoir et sa saveur à la fois merveilleuse et empoisonnée. Et ce Pouvoir, bien sûr, il doit être le seul à le maîtriser, le seul à le posséder : peu importe le prix à payer et plus on tuera et plus on déportera, mieux ce sera.

Et puis, Staline doit façonner son image de Dirigeant supérieur, faire en sorte qu'elle soit la seule dont on souvienne - faire en sorte qu'elle efface Josef Djougachvili, l'homme qui n'a su préserver de la Mort ni l'une, ni l'autre de ses épouses, le père qui ne saluera son fils aîné comme un homme de valeur que lorsque celui-ci, prisonnier des Nazis, se sera suicidé pour ne pas trahir son père et son pays, le père qui laissera son cadet s'enfoncer dans l'alcool et la corruption, le père enfin que sa fille pourtant adorée reniera un jour.

C'est cette manipulation marquée au coin de la démence et de l'irréel que nous raconte Montefiore, égrenant les noms de tous ceux qui, par intérêt et surtout pour ne pas mourir, acceptèrent d'entrer dans le jeu pervers du Dictateur. Beaucoup, comme Iakov, comme Iagoda, comprirent trop tard que le Grand homme goûtait un plaisir sadique à leur confier le poste de bourreau en chef et que le nombre de torturés et de fusillés n'y ferait rien : ils y passeraient aussi - comme tout le monde. Après tout, Staline n'était pas disposé à épargner les membres de ses belles-familles successives, coupables le plus souvent de "bavardages" sans grande conséquence : pourquoi se serait-il montré plus clément envers ses hommes de main les plus vils ? ...

La seule chose qu'on reprochera à ce livre, c'est une traduction certainement moins soignée que celle du "Jeune Staline". A part cela, il s'agit de l'une des biographies les plus intéressantes qu'on ait jamais consacrée à Staline, l'Homme et le Monstre. ;o)

mercredi, mars 14 2012

Le Jeune Staline - Simon Sebag Montefiore

Young Stalin Traduction : Jean-François Sené - Avec le concours du Centre National du Livre

Extraits

Contrairement à son ennemi, Hitler, qui est né et mort à l'Ouest de l'Europe et dont l'enfance, l'adolescence et la jeunesse ont été passées et repassées au crible, parfois pour y démêler des failles si profondes qu'elles fourniraient une explication (mais non une justification, bien entendu) à la malédiction qu'il jeta sur notre monde, mais trop souvent aussi - il n'y a qu'a lire la biographie toute récente de Ian Kershaw pour s'en affliger - dans l'espoir de prouver définitivement que l'homme ne fut qu'une coquille absolument vide, dans l'attente, semble-t-il, que le Mal s'incarnât enfin en lui - contrairement à Hitler, donc, Staline a pu conserver longtemps secret tout ce qui concernait ses propres racines et sa jeunesse. Lui qui a, autant qu'Hitler, façonné l'Histoire, a sans doute fini par croire qu'il la dominerait éternellement et que jamais elle ne le rattraperait.

C'était bien mal connaître l'Histoire qui, telle la Vérité jaillissant du puits dans le plus simple appareil, a beaucoup de la Mule du Pape si chère à Daudet.

Avec l'effondrement du bloc de l'Est en 1989, les archives ont commencé à s'entrebâiller timidement et quelques pages ont osé prendre leur envol. Dans le livre de Simon Sebag Montefiore, ce sont des milliers d'entre elles qui ont parlé, bavardé, dénoncé, affirmé, prouvé et le résultat est tout à la fois stupéfiant et passionnant.

Stupéfiant parce qu'il y a, chez le jeune Josef Djougatchvili, beaucoup de traits attachants. D'abord, il est intelligent et aime apprendre. (Que l'entêtement de son père officiel à vouloir le priver d'école pour le placer en apprentissage à ses côtés soit pour quelque chose dans cette résolution farouche de lire et d'apprendre, on ne peut en douter. Mais il est certain que le phénomène pré-existait chez l'enfant.) Ensuite, il a du cran et il met la main à la pâte. Que ce soit dans les bagarres de rues de son enfance où il est déjà "le" chef ou, quelques années plus tard, lorsqu'il organise des braquages pour alimenter les caisses du parti bolchevik, représenté par un Lénine qui, soulignons-le, se la coule plutôt douce dans son exil suisse, le futur Staline, qui, à cette époque, se fait surtout appeler "Koba", ne recule pas. Ce ne sera que lors de sa relégation dans un trou perdu de Sibérie, alors que le régime tsariste est proche de la fin, qu'on le voit près de craquer sous l'effet d'une dépression qu'on ne saurait, à vrai dire, vu les circonstances de sa détention, lui reprocher.

Avec ça, le camarade Koba écrit des poèmes - et en édite certains qu'il signe "Sosso", diminutif géorgien de son prénom. Et si les exégètes n'ont pas fini de s'interroger sur la vie sexuelle d'Hitler, avec son grand rival historique, aucun doute n'est possible : Staline était bien un "homme à femmes". De certaines d'entre elles, en-dehors de celles qui allaient devenir ses épouses légitimes, il eut même des enfants.

Ajoutons que cet homme qui, jusqu'au bout, n'aimait rien tant que se faire passer pour un rustre quasi illettré, avait un faible pour les auteurs du XIXème siècle, tenait Zola pour un dieu et, même s'il ne lui facilita pas l'existence, considérait en son privé Boulgakov comme le génie qu'il était. Staline demeura aussi toute sa vie capable d'analyser brillamment une oeuvre littéraire, de lui reconnaître d'immenses qualités et, pour ces qualités justement, de la faire interdire ...

Il y a une faille chez Staline. Une faille au moins aussi importante, aussi grave que celle qui existe chez Hitler. Pour l'un comme pour l'autre, les thèses freudiennes la repèrent facilement dans l'enfance. Pour l'Autrichien, il s'agit des relents incestueux familiaux et l'ambiguïté ethnique et religieuse planant sur les origines de son père. Pour le Géorgien, rien d'aussi complexe et pervers en apparence : simplement un père qui, après l'avoir tendrement aimé jusqu'à ses cinq ans à peu près, se change, il est vrai sous l'influence de l'alcool, en une espèce de monstre qui le poursuit dans toute la maison parce qu'il le tient désormais pour un petit bâtard. Des doutes sérieux planent en effet sur l'identité réelle du père de Staline : officiellement un cordonnier mais peut-être un aubergiste ou un pope. Des doutes peut-être infondés mais suffisant pour priver à jamais un enfant de cinq ans qui, évidemment, n'y comprenait rien, du père qui, jusque là, le prenait sur ses genoux pour lui raconter les belles histoires de brigands géorgiens.

A ceux pour lesquels Staline, c'est surtout le Généralissime de 1945, avec son air patelin et ses yeux si froids, la lecture de ce livre s'impose. Il convient d'ajouter (surtout quand on a lu les deux autres tomes consacrés à Staline par le même auteur) que la traduction est de qualité et permet de dévorer l'ouvrage un peu comme on dévorerait un roman d'aventures.

Dommage, bien sûr, que l'aventure ait tourné si mal pour tant de millions de femmes et d'hommes. Mais nous y reviendrons. ;o)

Nota Bene : pour ceux qui disposent des deux documents, qu'ils comparent les photos de classe où les petits Hitler et Djougatchvili posent pour la postérité. Saisissant, non ? D'autant qu'il ne s'agit que de hasard ...

vendredi, mars 2 2012

Nouvelles du Sud - Elizabeth Spencer

The Stories of Elizabeth Spencer Traduction : Simone Darses, Geneviève Doze & Monique Manin

Extraits Personnages

Dix-sept nouvelles en tout, qui se déroulent toutes dans le Sud - sauf "Moi Maureen" - des Etats-Unis, dans la petite ville de Richton, dans le Mississippi. On peut voir d'ailleurs dans cette ville l'alter ego littéraire de celle où naquit et grandit l'auteur tout comme la famille Wirth et ses ramifications évoquent sa propre parentèle.

Si l'on excepte la première nouvelle, "A la Brune", où se manifeste le spectre d'un vieil homme noir, et "Sharon", où la narratrice se rappelle la liaison qui existait entre son oncle Hernan et une servante, Mélissa, qui lui avait d'ailleurs donné quatre ou cinq enfants, on ne croise ici __aucun Noir. C'est l'univers des Blancs - ceux de la classe moyenne et mieux encore ceux de la vieille aristocratie sudiste, ayant ou non sauvé leur fortune du naufrage de la Sécession - que nous dépeint Elizabeth Spencer. De temps à autre, se profile la silhouette d'un "pauvre Blanc", paysan ou ouvrier agricole, et de sa misérable famille, mais sans la vigueur, la hardiesse et la hargne teigneuse que leur prête même une Margaret Mitchell.

A vrai dire, ces nouvelles parlent beaucoup du statut des femmes dans la société sudiste, un statut qui, quoi qu'on en dise, ne semble avoir guère changé depuis la Guerre civile. "Etre belle, tout supporter et se taire", la Scarlett d'"Autant en emporte le vent" jugeait déjà la chose stupide et injuste et l'avis de Spencer, s'il est un peu plus délicatement exprimé, n'en diffère guère. Ses héroïnes, jeune ou plus âgées, se retrouvent confrontées à des soupirants ou des maris qui veulent tout diriger (ou, à tout le moins, le faire croire) et qui boivent, semble-t-il, plus que de raison puisque, dans le Sud, boire est un art de vivre, en tous cas pour les hommes. Les plus modernes, celles qui ont le plus de moyens intellectuels et financiers, se rebellent et s'enfuient un peu plus au Nord pour tenter d'échapper à l'existence que leur a préparée la Tradition. (L'une d'entre elles, Maureen, ira même jusqu'au Canada pour tout oublier et se faire oublier.) Les plus "coincées" ou celles qui ont eu le malheur de naître trop tôt dans le siècle restent et se confient à la religion ou à la dépression - parfois aux deux. Comme les plus pauvres de leurs soeurs, elles subissent et se résignent.

Sortant tout juste des merveilleuses nouvelles d'Elizabeth Taylor lorsque je décidai de lire celles de Spencer, je pense n'avoir pas apprécié les siennes autant que j'aurais dû. Mais je sais avoir retrouvé en elle cette atmosphère inimitable, moite et lourde, qui vous donne l'impression de voir le Temps passer devant vous d'un pas superbement ralenti, cette atmosphère qui apparaît aussi bien chez Faulkner, Thomas C. Wolfe et Caldwell que chez Mitchell, O'Hara et Conroy et qui n'appartient qu'aux auteurs du Sud.__

Cela, déjà, suffirait pour lire un autre livre d'Elizabeth Spencer. Nous en reparlerons. ;o)

samedi, février 25 2012

Les Exclus - Elfriede Jelinek (Autriche)

Die Augesperrten Traduction : Yasmin Hoffmann et M. Litaize Présentation : Nicole Bary

Extraits Personnages

Je suppose qu'Elfriede Jelinek n'apprécierait pas ce que je vais écrire mais elle est, avec Céline et, dans un autre registre, James Joyce, l'un des rares écrivains dont le style et/ou l'univers m'ont porté, dès la première lecture, un coup que je ne pense pas pouvoir oublier. Il faut dire que le premier ouvrage de l'auteur autrichien que j'ai lu était "La Pianiste", l'un des romans les plus terribles à lire, à mon avis, pour celles et ceux qui ont eu une mère abusive - et plus particulièrement pour les femmes puisque, que nous le voulions ou non, nous partageons avec notre mère haïe/adorée une féminité qui nous enchante et/ou nous répugne.

"Les Exclus" est, précisons-le tout de suite, moins éprouvant pour les nerfs - ouf ! Attention : l'histoire n'en est pas pour autant plus gaie ! Chez Jelinek en effet, la Haine règne en maîtresse sur un univers tordu où se meuvent des personnages soit d'une médiocrité honteuse, soit d'une méchanceté et d'une mesquinerie absolues. Chez Jelinek, souvenez-vous-en bien, l'espoir n'existe pas.

Née en 1946 dans un milieu familial qu'elle qualifiera un jour de "démoniaque", l'Autrichienne n'a survécu que par la Haine et par l'Ecriture. Impitoyable, elle dénonce, sans se lasser et avec une rage jouissive, les faux-semblants de son pays natal et de la société où elle a vu le jour. Evoque-t-on la dénazification rapide de l'Autriche ? Elle explique avec jubilation que cette rapidité est normale pour un pays traditionnellement catholique : après tout, les catholiques, c'est bien connu, se confessent chaque vendredi pour communier le dimanche et n'en retournent qu'avec plus d'ardeur à leurs péchés rituels et hebdomadaires.

Tape-t-on sur l'Allemagne nazie ? Elle rappelle avec un malin plaisir que, toutes proportions gardées, il y a eu plus de vrais Nazis en Autriche qu'en Allemagne : normal, le dénommé Hitler était bien autrichien, non ? ...

S'opposant avec violence au régimes totalitaires de type fasciste et national-socialiste et se positionnant, en principe, à gauche, voire à l'extrême-gauche, Jelinek porte par ailleurs en elle un si grand désir de clamer haut et fort sa souffrance d'appartenir à un peuple qui donna naissance à l'un des plus terribles dictateurs du XXème siècle qu'il lui devient impossible de fermer les yeux sur la sottise et l'étroitesse d'esprit des classes sociales converties au communisme et, partant, susceptibles, elles aussi - elles l'ont d'ailleurs prouvé - de permettre à un dictateur "de gauche" d'arriver lui aussi au pouvoir.

Et, comme si ça ne suffisait pas, Jelinek claironne partout qu'elle ne supporte pas Mozart. Elle le juge sirupeux, mièvre ... si terriblement, si autrichiennement autrichien, en somme.

Forte de toutes ces haines, la romancière base "Les Exclus" sur un fait divers qui en contient au moins les principales : haine de la famille d'abord, haine de la société ensuite, haine du corps et de la sexualité et, pour terminer, haine de soi. En 1965, un adolescent qui s'apprêtait à passer son bac massacre les membres de sa famille : le père, la mère et sa soeur. Comme ça, sans grandes explications. L'Autriche entière est sous le choc.

Jelinek reprend l'idée centrale et la replace en 1959. Mais elle va s'attacher à personnaliser les quatre adolescents qui mènent ce bal de mort et de nihilisme : Rainer, l'"intellectuel", le "chef", pour qui la violence est une fin et qui cite Sartre et Camus à tire-larigot ; sa soeur jumelle, Anna, personnage par qui Jelinek s'introduit dans le récit, personnage très intelligent, lui aussi, mais qui se détruit totalement de l'intérieur en sacrifiant notamment à l'anorexie ; Sophie, leur seule camarade au lycée, une Sophie "von", issue d'un milieu très favorisé et qui, à la fin du roman, envoie ni plus ni moins bouler le frère et la soeur, provoquant la crise finale ; et enfin Hans, un jeune ouvrier, fils d'ouvriers, esprit plutôt primaire mais avide d'arriver, qui cognerait sur n'importe qui pourvu que Sophie le veuille.

Rainer et Hans sont tous deux amoureux de Sophie. D'abord fascinée par les beaux discours de Rainer, Sophie finira par comprendre qu'il s'agit là de mots, et rien que de mots et se tournera vers Hans, qu'elle est sûre et certaine de pouvoir dominer. Si jeune qu'elle soit, Sophie est un parfait prototype de garce qui ne s'est donné que le mal de naître avec une cuillère d'argent dans la bouche.

Renvoyant dos à dos deux idéologies qui s'opposent bien qu'elles puissent aboutir au même résultat sur le plan de la répression des masses, Jelinek a fait de Rainer le fils d'un ancien SS obsédé sexuel et unijambiste et, de Hans, celui d'un communiste déporté et mort à Malthausen. Certains diront que ce n'est vraiment pas sympa, d'autres savoureront en connaisseurs.

Anti-héros principal, Rainer est évidemment le personnage le plus intéressant. On retrouve en lui - dans le contexte, par la faute de son père, qui prend des photos pornographiques de sa mère et les lui montre - la peur du corps et de la sexualité, ce sujet cher à l'auteur de "La Pianiste". Si Anna l'exprime par une anorexie galopante qui la fait maigrir au fil des pages, Rainer, en qualité de membre du sexe mâle, n'a d'autre solution que d'intellectualiser à mort - la Mort, une fois encore - son propre désir pour Sophie.

Ce personnage étrange, toujours vêtu de noir et les cheveux gras en bataille, qui comprend de travers les théories de Sartre aussi bien que celles de Camus, qui se vante auprès des autres élèves d'avoir un père qui roule en Porsche, qui proclame que la violence pour la violence doit seule finir par dominer le monde, est celui qui interpelle le plus le lecteur. Non pas tant, curieusement, par l'horreur de son crime mais parce qu'on approuve toute la haine qu'il porte à son père, parce qu'on comprend la profondeur de son refus de s'identifier à cette brute dont la cervelle ne dépasse pas le bas-ventre et aussi parce que, à un certain moment, il songe vraiment à sauver sa mère des griffes du monstre.

Evidemment, nous sommes dans un livre de Jelinek : alors, on ne va pas s'apitoyer sur un meurtrier qui préfigure d'ailleurs, par son rejet des structures sociétales, les terroristes de la Bande à Baader et autres jeunes exaltés en rupture de tout. N'empêche que l'auteur elle-même déclare en toutes lettres qu'Anna est en train de perdre la raison tandis que son frère court le même danger.

Tordus, Rainer et Anna ? Oui. Complètement. Mais tordus par qui ? Comment ? Pourquoi ? Derrière les deux jeunes gens en noir, c'est toute la bien-pensance autrichienne, le respect des convenances et aussi les intérêts d'une société qui détourne la tête devant tous ceux qui ne veulent pas (ou ne peuvent pas, par exemple pour des raisons financières) rentrer dans ses rangs et qui les abandonne à un sort misérable, que Jelinek montre du doigt. Face à Sophie la Bien-Née et à Hans l'Arriviste, Rainer et Anna sont bien des exclus. Mais ils ne se sont pas exclus de leur propre chef et s'ils finissent par le prétendre, c'est par fierté et en espérant ainsi apaiser la souffrance qu'ils en ressentent. Ce n'est pas une excuse mais ça explique bien des choses.

vendredi, février 24 2012

Sans Nouvelles de Gurb - Eduardo Mendoza (Espagne)

Sin noticias de Gurb Traduction : François Maspero

Extrait uibPersonnages/b/i/u

Freud aurait sans doute conclu qu'Eduardo Mendoza et moi-même n'avons pas les mêmes rêves. C'est la seule explication que je trouve à l'absence d'enthousiasme que suscite en moi ce que, jusqu'ici, j'ai lu de cet auteur.

Pourtant, en choisissant "Sans Nouvelles de Gurn", roman hyper-court ou longue nouvelle écrite dans un style ouvertement parodique, je pensais que tout irait bien. Eh ! bien, non. Certes, il y a quelques scènes où l'on sourit et d'autres où l'on rit. Les commentaires de l'extra-terrestre abandonné par son acolyte Gurb, parti en mission dans une ville espagnole après avoir adopté la plastique de Madonna (non, je n'invente rien), sont souvent pince-sans-rire et, bien entendu, son discours, si absurde qu'il paraisse parfois, cherche à remettre en cause notre manière de vivre, à nous, "civilisés" terriens - ou prétendus tels.

J'ai compris tout ça, j'ai souri, j'ai ri mais ... dès avant le milieu du roman, je m'ennuyais déjà.

Alors, comme je m'en veux un peu - j'aime bien comprendre - je ferai sans doute une troisième tentative avec Eduardo Mendoza. Après tout, avec un peu de chance et si Dieu me prête vie (comme aurait dit le Général ), il me reste encore trente ans pour pouvoir dénicher le roman de cet écrivain que j'aurais toujours eu envie de lire.

jeudi, février 23 2012

L'Héritage de Miss Peabody - Elizabeth Jolley

Miss Peabody's Inheritance Traduction : Claire Malroux

Extraits Personnages

Voici un curieux petit roman, à la fois amer et drôlatique, dans ce style particulier à quelques romancières anglaises à vrai dire assez peu connues chez nous mais très appréciées dans le monde anglo-saxon, à savoir Elizabeth Taylor, Barbara Pym et l'incontournable et surprenante Ivy Compton-Burnett. Ajoutons à cette triade la mansfieldienne Elizabeth Bowen et Muriel Spark et le portrait de groupe sera encore plus parlant.

Miss Peabody est ce que l'on appelle encore, à l'époque où se déroule le roman, "une vieille fille." Elle a grandi dans une petite maison de la banlieue londonienne, entre un père et une mère qui l'aimaient, certes, mais la couvaient un peu trop. Le père - avec qui elle semble avoir eu un lien privilégié - décédé, la jeune femme s'est retrouvée seule avec sa mère. Le temps a passé avec ce naturel et cette rapidité dont lui seul est capable et les espoirs de mariage de Miss Peabody se sont envolés, complètement évanouis dans la nature, ne laissant derrière eux qu'une Mrs Peobody désormais impotente et à laquelle la fille se dévoue sans relâche matin et soir, avant de partir à et en revenant de son travail.

Seule échappatoire pour Miss Peabody : la lecture. Esprit relativement simple, elle aime les succès de librairies et, un jour, trouve on ne sait où le courage d'écrire à Diana Hopewell, romancière australienne dont elle a énormément apprécié le dernier ouvrage, une histoire de pensionnaires entrant en communion avec la Nature par le biais de chevauchées au clair de lune et d'explorations tâtonnantes d'amours adolescentes au parfum de lesbianisme. Ce dernier détail en dirait long sur les propres rêveries de Miss Peabody mais elle est à vrai dire si naïve - et le lecteur ne cessera d'ailleurs de la trouver de plus en plus naïve - qu'on peut douter de sa bonne compréhension de l'intrigue.

Miss Peabody est la première à s'en étonner : Diana Hopewell lui répond. Mieux : la romancière prend l'habitude de lui écrire très régulièrement et de lui faire part de ses travaux sur son prochain ouvrage. Là encore, il y aura des pensionnaires, celles d'une institution haut-de-gamme pour jeunes filles de bonne famille, dénommée "Les Hauts du Pin". Mais on y verra un peu plus de professeurs - des femmes elles aussi, bien sûr. Au premier rang, Miss Thorne, directrice pleine d'allant et débordante d'idées, toujours flanquée de la pâle, terne et pleunicharde Miss Edgely avec laquelle, on le découvre au fil des extraits et commentaires reçus par Miss Peabody, elle a jadis vécu une liaison torride et avec qui elle forme l'un de ces vieux couples qui sont légion chez les hétérosexuels et dont on a tort de sous-estimer le nombre chez les homosexuels.

Avec une habileté d'autant plus remarquable qu'elle paraît absolument naturelle, Elizabeth Jolley mène de main de maître ses trois intrigues : la découverte d'elle-même que, par le biais de sa correspondance avec Diana Hopewell, fait Miss Peabody, l'étude des difficultés rencontrées par la romancière australienne pour mener à bien son dernier projet littéraire et bien entendu les tribulations de Miss Thorne, partie en voyage en Europe avec sa bonne "Edge" et une jeune pensionnaire qui inspire à cette dernière une redoutable jalousie.

Le plus étonnant, c'est qu'on entre dans ce roman avec un petit sourire distrait, en se disant presque que ça ne fonctionnera pas et qu'on en sort fasciné par la technique de l'auteur. Tout est clair et calculé au millimètre. Loin de s'embrouiller avec ses voisins, chaque fil met en valeur le suivant. Et tout ça avec une économie de moyens qui laisse rêveur et admiratif.

Avec un projet un peu plus long - le roman ne fait que deux-cent-dix pages chez Payot-Rivages - l'effet en aurait peut-être été gâché. Mais Jolley a conscience de ses limites et nous invite à refermer le livre quand tout est joué - sauf pour Miss Thorne et ses compagnes, encore dans les limbes de l'imaginaire et léguées par Diana Hopewell à une Miss Peabody désormais bien plus sûre d'elle. A plus de cinquante ans, il était temps que cela lui arrive, non ?

Elizabeth Jolley a écrit d'autres romans dont "Foxybaby", qui prend pour cible les cures amaigrissantes. Je crois bien que, un de ces jours, je vais me l'acheter. Et, bien entendu, je reviendrai vous en parler.

mercredi, février 22 2012

Cher Edmund - Elizabeth Taylor

The Blush Traduction : François Dupuigrenet Desroussilles

Extraits Personnages

J'avais pris par hasard ce recueil de nouvelles que ma fille aînée avait acheté, attirée par le titre. Et ce fut une excellente surprise, que je classe d'ores et déjà comme l'une des meilleures de cette année. Par son élégance, sa manière de s'attacher aux détails tout en suggérant une foule de choses et d'idées, par sa maîtrise de l'art du récit, par son humour enfin et même par une certaine cruauté qui perce ici et là dans le regard qu'elle pose sur ses personnages, Elizabeth Taylor mérite de figurer au rang des meilleurs nouvellistes du XXème siècle. (Comme j'ai acheté dans la foulée "Vue du Port", je vous dirai sans doute dans quelque temps si je lui trouve autant de talent pour le roman, pierre d'achoppement de tant de génies de la nouvelle. )

Au programme, douze nouvelles se déroulant toutes en Angleterre et très souvent d'ailleurs à la campagne. Une seule - l'antépénultième - "Pauvre Fille", histoire d'une jeune gouvernante hantée sans le savoir par l'esprit de la future gouvernante de la fille de son actuel élève (Elizabeth Taylor applique à la lettre la théorie du temps "en boucle" où il n'y a en fait ni passé, ni présent, ni avenir) présente un fond fantastique qui ravira les amateurs autant, je l'espère, qu'elle m'a ravie. C'est une vraie gourmandise que cette "Pauvre Fille" qui met en valeur l'art de l'écrivain et son impeccable technique.

Les onze autres nouvelles appartiennent au genre réaliste. Mesdames qui avez à vous plaindre de la gent masculine, je vous recommande vivement le jubilatoire "Une Tare Héréditaire Peut-Etre" où l'on voit un jeune marié tout neuf et grand amateur d'alcools et de stations au pub (comme son papa ) ... Mais chut ! Je n'en écrirai pas plus : la fin est vraiment trop méchante - mais aussi trop vraie, toutes celles ayant connu un tant soit peu l'univers des bars et des messieurs aimant y boire "entre copains" partageront mon avis. Certains se récrieront peut-être en disant : "C'est caricatural, voulez-vous dire !" Oh ! si peu, messieurs, si peu ... Des cas comme celui du triste héros de cette nouvelle existent, hélas ! Mais, fidèle à notre réputation de discrétion, nous ne citerons aucun nom.

"Le Rouge au Front", seconde nouvelle du recueil, vaut aussi largement son pesant d'encre : Mrs Allen a pour femme de ménage une certaine Mrs Lacey, femme assez vulgaire qui se plaint tout le temps : de ses enfants, de son mari, etc ... Or, un jour, se présente justement à la porte de Mrs Allen un Mr Lacey embarrassé mais bien décidé à obtenir un peu plus de temps libre pour sa malheureuse épouse, laquelle se retrouve enceinte pour la énième fois ...

"Malaise", l'une des plus longs parmi les textes recueillis, est une petite merveille de construction qui nous détaille avec subtilité et retenue comment la jalousie s'installe entre deux jeunes filles dont l'une a épousé le père, forcément plus âgé, de l'autre.

Mais la palme de la subtilité revient peut-être à la nouvelle qui ouvre le bal, "Le Piège", que devraient lire toutes les mères abusives et avides de pouvoir.

Bref, amateurs de nouvelles et d'auteurs anglais, n'hésitez pas à vous procurer "Cher Edmund" : ce petit livre sans prétention, aussi discret que celle qui l'écrivit, vous fera passer de très bons moments. Et qui sait ? Peut-être en redemanderez-vous.

Sang Impur - Graham Masterton

Flesh & Blood Traduction : Patrick Duvic

Extraits Personnages

Voici l'un des romans les plus ambitieux de Masterton. Il s'articule sur trois thèmes :

1) les excès (calculateurs) de l'Homme dans son désir d'asservir la Nature ;

2) les excès (calculateurs) de l'Homme dans sa volonté d'asservir sa propre espèce ;

3) les excès (calculateurs) de la Politique et des politiciens.

De leçon de morale, il n'y en a pas : au lecteur de se faire son opinion personnelle. Cynique, la chute finale nous rappelle simplement que, une fois mises en branle certaines mécaniques, il devient très difficile, voire impossible, de les arrêter.

L'ample et ténébreux manteau du genre épouvante recouvre tout cela et nous permet de lire en parallèle une histoire fantastique puisée cette fois aux sources du folklore rural des pays de l'Est et tout particulièrement de ce qui était encore, à l'époque de la parution du livre, la Tchécoslovaquie. Janek-le-Vert, entité maléfique à l'oeuvre dans "Sang Impur", sort-il vraiment du folklore tchèque ou n'est-il qu'une invention de l'auteur, on ne le saura jamais très bien, à moins que Masterton ne vienne nous le dire en personne. Mais ce personnage descend sans équivoque possible de l'Homme vert dont on retrouve la trace, dans l'art et dans les textes, jusqu'en Inde.

Entité masculine qui garantissait les récoltes abondantes, l'Homme vert exigeait qu'on lui sacrifiât un ou plusieurs humains en échange de ses bienfaits. Thomas Tryon en a donné sa vision personnelle dans "La Fête du Maïs", une vision elle aussi assez gore. Masterton pour sa part lui invente un rejeton, Terence Pearson, qui, au lieu d'attendre sa visite - dont il sait qu'elle sera mortelle aussi bien pour lui que pour ses propres enfants - entre en rébellion et cherche ouvertement à priver son étrange géniteur des sacrifices qui le maintiendraient en vie. Le résultat est, ma foi, tout aussi sanglant mais, pour peu qu'on s'intéresse à Freud, on comprend l'enrichissement du thème.''

Face à Janek-le-Vert, ancien humain à part entière, jadis sacrifié à la Nature afin que celle-ci bénisse les récoltes de ses voisins, Captain Black. Captain Black est un porc, propriété d'un laboratoire spécialisé dans des expériences visant - bien entendu - à améliorer notre santé à tous. Leur dernière idée ? Transplanter une infime partie d'un cerveau humain encore vierge - celui d'un jeune enfant - dans le crâne du malheureux porc et greffer cette parcelle sur le cerveau du malheureux porc. On le rendrait ainsi plus "humain" (sic).

Entre les deux, une bande de politicards assoiffés de pouvoir, qui prônent par pur arrivisme l'interdiction de la viande et l'instauration de menus végétariens pour tous. Pour compliquer encore les choses, il faut ajouter à tout cela une petite bande de militants résolus, prêts à tout pour délivrer les animaux enfermés dans les locaux du laboratoire - y compris et surtout Captain Black.

Scènes gore (accrochez-vous, ça démarre très fort), variation remarquable sur un mythe rural aussi vieux que l'Humanité, personnages principaux plus complexes que la moyenne, récit travaillé, rythme enlevé malgré quelques petites longueurs, et enfin des questions qui ne peuvent que nous interpeller, voilà ce que recèle en ses pages "Sang Impur", un roman un peu différent de ce que nous offre d'habitude Masterton mais qui n'en demeure pas moins l'un de ses meilleurs. ;o)

mardi, février 14 2012

La Couleur Tombée du Ciel - Howard Philip Lovecraft

The Colour Out of Space Traduction : Jacques Papy

Extraits

Ce recueil de quatre nouvelles doit son nom à celle qui demeure l'une des plus terrifiantes jamais écrites par Lovecraft. On n'y voit pourtant pas trop les tentacules des Grands Anciens et l'écrivain use en fait de descriptions très simples pour amener son lecteur à un rare degré d'effroi. Mais c'est le propre du génie d'atteindre à de tels sommets avec si peu de moyens ou encore avec des moyens en apparence aussi faibles. Et Lovecraft était un génie.

Enfin, telle est mon opinion, confortée par les trente-sept ans qui séparent désormais ma première lecture de "La Couleur Tombée du Ciel" de la seconde et toute récente que je viens de faire. A quinze ans, on n'a pas encore vu grand chose, on est tout neuf, on s'émeut vite. Trente-sept ans plus tard, on a accumulé les films d'épouvante ("Alien", "Ring", "The Blair Witch Project" ...) et les lectures du même genre (tous les Stephen King, les Graham Masterton première époque, "Le Tour d'Ecrou" de James et autres friandises venimeuses de la littérature). Sans compter qu'on a vu se fissurer Tchernobyl, croître et s'épanouir une pollution qui redynamise les grandes maladies respiratoires, apparaître le SIDA, l'encéphalite spongieuse et toute cette sorte de choses - et que ça, malheureusement, c'est du réel, une horreur bien concrète amplifiée par les fûts de déchets nucléaires enfouis en dépit du bon sens un peu partout sur notre chère planète.

Et c'est peut-être tout ce contexte pollution-écologie qui a permis à "La Couleur Tombée du Ciel" de ne pas concéder au Temps un seul atome de sa puissance.

Certes, dans la nouvelle, la mystérieuse couleur est bien liée à un météorite probablement habité par l'une de ces entités extra-terrestres et extra-temporelles qu'affectionnait Lovecraft. Mais l'art avec lequel le romancier nous la décrit, s'infiltrant tout d'abord dans les sols, puis dans les cultures, enfin dans les humains qui vivent là, nous évoque rétrospectivement le fléau d'une pollution mystérieuse et incontrôlable. Et quand une partie de la couleur finit par rejoindre sa dimension originale, le lecteur sait bien qu'elle laisse derrière elle, tout au fond d'un puits, l'horreur en germe ...

A côté de ce texte, d'une intensité exceptionnelle, les trois autres en paraîtraient presque - presque - gais, optimistes et même anodins. "L'Abomination de Dunwich", lui aussi d'une très grande qualité, semble une adaptation lovecraftienne du "Grand Dieu Pan" d'Arthur Machen - adaptation mais non copie, attention ! ;o) "Le Cauchemar d'Innsmouth" introduit pour la première fois la ville d'Innsmouth et ses inquiétantes mutations génétiques dans l'univers du créateur de Chthulu et "Celui qui chuchotait dans les ténèbres" reprend le thème de l'invasion de la Terre par des extra-terrestres très mal intentionnés.

A mon sens, ce volume est, avec "Dagon" et "Par delà le Mur du Sommeil", le meilleur qui soit pour découvrir H. P. Lovecraft et son oeuvre. Avec d'autant plus de plaisir que ses traducteurs ont accompli un travail remarquable, qui faisait dire à Jean Cocteau, fin connaisseur, que "Lovecraft est encore mieux, si possible, en français qu'en anglais." ;o)

lundi, février 13 2012

Compagnon de Nuit - Lisa Tuttle

The Pillow Friend Traduction : Alain Dorémieux

Extraits

Sous les voiles du fantastique et plus encore de l'insolite insidieux, "Compagnon de Nuit" traite de la relation mère-fille et tout particulièrement du cheminement qu'elles partagent lorsque la seconde grandit et s'éveille peu à peu à la sensualité et à la sexualité.

On peut aussi voir, en la figurine remise par sa "tante" à la jeune Agnes au tout début du roman et que lui subtilise sa "mère" à la fin de la première partie, le témoin d'une sorte de course magique ou d'un parcours initiatique réservé aux impétrantes dans les anciens rites exclusivement féminins que les religions monothéistes devaient par la suite recouvrir du sombre manteau de la sorcellerie.

A un moment donné, soit par peur de ce tout ce que symbolise ce témoin à double tranchant (toute connaissance suppose sa part d'ombre et de souffrance), soit par jalousie et refus de voir la fillette, puis l'adolescente accéder à un savoir similaire à celui qu'elle détient (et qui passe par la sexualité), la tante-mère pose des obstacles et suscite des retards sur la voie empruntée par la fille. Mais elle ne saurait s'opposer éternellement à l'acquisition de la Connaissance, tout d'abord parce qu'elle même vieillit et que, au-delà de ses propres intérêts, domine en elle la nécessité de passer le relais pour assurer la pérennité de cette Connaissance - et la survie de l'Univers.

Lisa Tuttle dissimule cette histoire de femmes, où les hommes, fût-ce le premier d'entre eux, l'Initiateur, n'ont droit qu'à des rôles secondaires, dans une intrigue très moderne, avec la petite ville américaine traditionnelle, les parents qui s'entre-déchirent, la mère ayant sacrifié son avenir de comédienne à la naissance de ses enfants, et une tante mystérieuse qui évoque de son côté les femmes libérées des années soixante-dix.

L'ensemble est trouble, nimbé de brumes qui s'élèvent ici et là pour mieux dissimuler quelque chose que le lecteur impatient tente en vain d'apercevoir avec clarté - et dont il ne prendra vraiment conscience qu'après avoir refermé le livre et pris un peu de recul par rapport à ce qu'il paraît raconter. C'est un art subtil, parfaitement maîtrisé, qui tient plus de la vieille magie - celle-là même qui protégeait le nourrisson Harry Potter de l'énergie meurtrière de Voldemort - que de l'histoire d'horreur ou du fantastique classique. C'est aussi et c'est surtout une histoire de femmes et peut-être parlera-t-elle beaucoup moins, voire pas du tout, à des lecteurs masculins. Mais qu'ils prennent tout de même le risque d'autant que Lisa Tuttle a tout prévu : si ça les arrange, ils peuvent aussi s'imaginer que Agnes souffre simplement du même mal que sa mère ...

... Cependant, ils n'en seront jamais sûrs ... ;o)

dimanche, février 12 2012

Sur le Seuil - Patrick Sénécal

Les USA ont Stephen King et Peter Straub, la Grande-Bretagne, Graham Masterson.

Au Québec, ils ont Patrick Sénécal. Assez difficile à se procurer en librairie sauf si vous le commandez.

Je vous recommande tout particulièrement "Sur le seuil" bien que le style de ce dernier m'ait un peu surprise au début, et même déstabilisée. En effet, l'auteur y utilise beaucoup le passé composé, dont nous n'avons pas tellement l'habitude à l'écrit.

L'intrigue est simple et, sauf peut-être à l'extrême-fin, ne sombre jamais dans le "gore." Un écrivain québéquois spécialisé dans le roman d'horreur, Thomas Roy, est retrouvé chez lui dans un état catatonique. Après s'être coupé les dix doigts avec un massicot, il a songé à se défenestrer mais a raté son coup.

Le revoilà transporté en urgence dans une clinique psychiatrique où il devient le patient des Dr Lacasse (le narrateur, âgé de la cinquantaine et mal dans son métier et dans son couple) et Marcoux (la trentaine,enceinte, épanouie et grande lectrice des oeuvres de Roy).

Bien entendu, la police enquête mais finit par conclure à la crise de démence ayant poussé au suicide. Un cahier dans lequel Roy collait des articles de journaux retraçant des drames horribles dont il devait s'inspirer se retrouve à la clinique afin que les psychiatres puissent y puiser et voir ce qui pourrait les aider à soigner leur patient.

Très vite, Lacasse & Marcoux en arrivent à l'étrange conclusion que, bien loin de s'inspirer de ces tristes faits divers, Roy au contraire en écrivait la trame avant qu'ils se concrétisent ...

Si vous n'avez jamais lu Sénécal, commencez par "Sur le seuil" : vous ne serez pas déçus. J'ajouterai qu'il a aussi écrit un curieux polar : "Les 7 Jours du Talion" où un tueur et agresseur d'enfant se voit appliquer la loi du Talion par le père de l'une de ses victimes. Très éprouvant mais fort bien mené et loin de tout sensationnalisme. ;o)

lundi, février 6 2012

Le Premier Cercle - Alexandre Soljenitsyne

В круге первом (V kruge pervom) Traduction : Henri-Gabriel Kybarthi

Extraits Personnages

Le titre de cet ouvrage, que d'aucuns trouveront moins prenant que "Le Pavillon des Cancéreux" ou "Une Journée d'Ivan Denissovitch", fait référence à la "Divine Comédie" et au système de "cercles" imaginé par Dante pour y caser l'intégrale de l'Enfer chrétien. Au-dessus de tous, le Premier cercle est de loin le moins terrible et, dans l'univers du igoulag/i, cet Enfer soviéto-stalinien, il correspond au monde de la icharachka (шара́шка)/i, c'est-à-dire aux laboratoires secrets de l'URSS.

Y travaillaient coude à coude des "employés libres" et des prisonniers, les premiers chargés d'espionner les seconds, mais tous en principe techniciens, ingénieurs et scientifiques. Tout ce petit monde recevait des repas corrects et bénéficiait d'une certaine souplesse dans les horaires, ce qui était bien loin d'être le lot des zeks comme Ivan Denissovitch. A la fin du roman, Nerjine, l'un des héros malheureux de Soljenitsyne, repartant au goulag avec quelques autres fortes têtes, affirme avec force que, si imparfaite qu'elle soit, la charachka peut se comparer à une forme de Paradis et que c'est maintenant, en retournant vers les camps de travail "normaux", que leur petite troupe va retrouver l'Enfer.

Bien entendu, "Le Premier Cercle" n'est pas qu'un voyage au coeur de la charachka. Il s'ouvre sur un coup de fil donné, d'une cabine téléphonique, par le Conseiller d'Etat de seconde classe, Innokenty Volodine, à un scientifique surveillé par les services secrets - et mis sur écoutes depuis longtemps. Dès réception de l'appel, ordre est donné en haut lieu de déterminer quel est le "traître" qui a passé cet appel. Pour ce faire, quelques apparatchiks, chapeautés par le redoutable Victor Semionovitch Abakoumov - lequel sera fusillé l'année suivant la mort de Staline - ont recours à certains scientifiques de la charachka, parmi lesquels Nerjine, emprisonné quasiment depuis la fin de la guerre pour on ne sait trop quelle raison exacte, et Rubine, dont la conception très utopiste du communisme et le refus de dénoncer les membres de sa famille ont scellé le destin.

Avec d'autres techniciens, les deux hommes travaillent depuis déjà un certain temps sur un appareil dénommé "vocodeur", censé débarrasser la ligne téléphonique du Chef Suprême de Toutes les Russies en personne des plus infimes parasites et grésillements divers qui viennent parfois perturber ses entretiens avec un tel ou un tel à l'autre bout du pays. Leur équipe est donc toute désignée pour repérer, dans une liste de cinq suspects, la voix de celui qui a osé trahir ...

En dépit de tous leurs efforts de sabotage, Nerjine et Rubine ne parviendront qu'à sauver trois des suspects qu'on leur propose. Les deux autres - dont un innocent - seront raflés par le MGB et conduits à la sinistre Loubianka pour y être "interrogés". On apprendra très vite que Volodine a été condamné - sans aucun jugement - "à perpétuité."

Le drame qui se noue très lentement, et même avec paresse, un peu comme si Soljenitsyne se faisait plaisir en mettant en scène des personnages historiques comme Staline lui-même ou Abakoumov, tend en fait à prouver que, dans la société stalinienne, personne ne pouvait rester innocent. Pas même dans les charachki, où des prisonniers en quelque sorte "protégés" par leur statut de scientifiques et de techniciens émérites ne parvenaient pas toujours à éviter de servir efficacement le régime qui les avait déchus de leurs droits.

Au passage, Soljenitsyne dépeint avec vigueur la situation misérable qui était celle des épouses et des familles en général des prisonniers : stress perpétuel, pauvreté, discrimination à l'emploi et aux études, déportation éventuelle, etc, etc ... Signalons aussi certains passages sur la langue russe et son évolution - Rubine est en fait linguiste - qui passionneront ou ennuieront, selon les goûts personnels.

Tel quel, avec sa "chute" amère et ironique - que vous retrouverez dans les "Extraits" - "Le Premier Cercle" n'en reste pas moins un livre qu'il faut lire si l'on veut mieux comprendre la société soviétique.

dimanche, février 5 2012

Une Journée D'Ivan Denissovitch - Alexandre Soljenitsyne

Odin den'Ivana Denissovitcha Traduction : Lucia et Jean Cathala

Que dire de ce court roman, basé sur des faits authentiques, qui valut à son auteur la reconnaissance mondiale ?

Tout d'abord qu'il fut remarqué en 1961 par le rédacteur de la revue Novy Mir, Alexandre Tvadorvski.

Puis que celui-ci, comme beaucoup d'autres, estimait qu'il fallait à tout prix, après la dénonciation des crimes staliniens et du culte de la personnalité par les XXème et XXIIème Congrès du Parti communiste soviétique, évoquer les horreurs du goulag de façon plus hardie que les quelques (rares) scènes d'arrestation montrées (de temps en temps) dans tel ou tel film auquel la censure du Parti n'avait pas bronché.

C'est ainsi que la manuscrit d'"Une Journée d'Ivan Denissovitch" finit par se retrouver entre les mains de Vladimir Lébédiev, conseiller principal de Khrouchtchev à la culture. Or, Lébédiev, fait rare chez un politique, aimait la bonne littérature et, sous réserves de quelques menues coupures dans le texte, il se chargea de lire lui-même le texte au Premier secrétaire. Et peu après, le roman fut édité.

Dans l'oeuvre de Soljenitsyne, ce roman paraît un tour de force. D'abord, il est bref. Ensuite, bien que les événements relatés soient évidemment des souvenirs de l'auteur, celui-ci parvient à prendre - et à conserver - le recul dont rêve tout écrivain hanté par le besoin irrépressible de retracer par écrit les situations les plus douloureuses qu'il a traversées. Enfin, rien qu'en racontant dix-sept heures de la vie d'un zek au goulag, le romancier trouve le moyen d'entraîner son lecteur dans les profondeurs d'un enfer où les démons se nomment Routine, Froid, Faim et Peur.

Pourtant, pas un instant, Soljenitsyne ne tombe dans le mélo sordide. Il ne fait pas pleurer Margot, c'est le moins que l'on puisse dire. La roublardise paysanne dont Ivan Denissovitch Choukhov est bien obligé de faire montre pour survivre dans le camp où il purge sa peine, fait même sourire plus d'une fois le lecteur qui, d'emblée, se sent le frère de cet homme simple, sans grande instruction mais bon ouvrier, à qui une révolution qu'il ne comprend pas (et à laquelle il ne s'intéresse pas vraiment) a volé une partie de son existence pour des raisons aussi absurdes qu'iniques et qui, dans sa misère, réussit à se satisfaire de menues joies et, mieux encore, à partager celles-ci avec moins malin ou moins chanceux que lui.

Plus qu'à Tolstoï le théoricien, c'est évidemment à Dostoievski que Soljenitsyne fait ici penser. La langue bien sûr, la façon de l'utiliser et la construction du roman appartiennent au XXème siècle mais, par la générosité de la pensée et par la dimension universelle qu'il donne à son Ivan Denissovitch, Soljenitsyne est bien l'héritier de l'auteur des "Frères Karamazov."

Rien que cela devrait vous inciter à lire "Une Journée d'Ivan Denissovitch" - si ce n'est déjà fait, bien sûr. ;o)

Las Vegas Parano - Hunter S. Thompson

Fear and Loathing in Las Vegas: A Savage Journey to the Heart of the American Dream Traduction : Philippe Mikkriamos

Extraits --Personnages__

Publié pour la première fois sous forme de "feuilleton" dans "Rolling Stone" et tout au long du mois de novembre 1971, "Las Vegas Parano" est le récit fou, fou, fou de la virée à Las Vegas de deux hommes, le journaliste Raoul Duke, nom d'emprunt de Hunter S. Thompson, et son avocat, Oscar Zeta Acosta, rebaptisé pour la circonstance "Docteur Gonzo." Si l'identité réelle de Thompson est citée dans le livre, jamais on n'évoque celle d'Acosta, lequel est appelé à demeurer à jamais le Dr Gonzo, en tous cas pour les adeptes du romancier américain.

A l'origine, ce voyage mouvementé vers Las Vegas et le séjour qu'y font nos anti-héros ont pour but de couvrir la Mint 400, fameuse course qui se déroule dans le déser et qui, jusqu'en 1977, était ouverte exclusivement aux véhicules à deux roues. (De nos jours, les quatre-roues de tous types, ou presque, sont admis.) En d'autres termes, tout est réglé, et confortablement réglé, par un journal dont on est en droit de supposer qu'il s'agit de "Rolling Stone". Par la suite, abandonnant la course de motos et ses bikers, Duke et Dr Gonzo sont assaillis par l'impérieux besoin de couvrir une Convention de procureurs venus débatte à Vegas des mille-et-un dangers représentés par la drogue et plus encore par ceux qui en consomment.

Quand vous saurez que Raoul Duke, comme le Dr Gonzo, est chargé à bloc d'alcools forts, d'amphétamines, de mescaline, de coke, de nitrite d'amyle (ou poppers, si vous préférez) et même d'éther et d'extraits d'hypophyse humaine (!!!) et qu'il remet ça dès qu'il sent sa forme faiblir, vous comprendrez toute l'ironie de pareille participation à une si honnête Convention ...

Ceux qui s'imagineraient trouver ici une glorification des drogues et de leur consommation seront déçus : les hallucinations hideuses, les comportements violents et inadaptés ainsi que les phénomènes divers observés tant chez Duke que chez le Dr Gonzo - chez celui-ci surtout, d'ailleurs - et fidèlement rapportés par un Hunter S. Thompson qui, on ne sait trop comment, réussit à préserver tout au fond de son cerveau la part de lucidité qui lui permettra de mener à terme ses articles, incitent plutôt le lecteur à vider dans ses toilettes tout produit un tant soit peu addictif, de l'innocente tablette de chocolat jusqu'aux flacons de Valium, avant de rayer définitivement de son vocabulaire le mot "drogue" et tout terme s'y rapportant.*

Dans ce tourbillon d'explosions psychédéliques qui métamorphosent le monde réel en le distordant à l'extrême, quand elles n'ouvrent pas les fameuses portes de la perception dont parlait Huxley sur des Angoisses épouvantables, insupportables, terrifiantes, il y a, en définitive, très peu de joie pure. Duke et Dr Gonzo se défoncent la tête, c'est là en fait leur seule joie - et elle est de nature sado-masochiste. Thompson ne l'exprime pas ainsi mais leur quête dans le dépassement de leurs limites physiques et mentales les a avant tout rendus accros à ces jouissances glauques et auto-destructrices qu'on trouve dans la douleur qu'on s'inflige de son propre chef. Et si c'est tel est le prix de leur quête, alors, il doit en être ainsi pour tous ceux qui se sont égarés dans la même voie.

Analyse lucide - eh ! oui, lu-ci-de ! - d'une époque en pleine mutation et du mal de vivre de ses contemporains, "Las Vegas Parano" est un récit brillant, drôlatique et féroce. A ne conseiller cependant qu'aux inconditionnels de Hunter S. Thompson et aux amateurs de second degré. Les autres feraient mieux de passer au large car tout ce qu'il y a ici de technique ébouriffante, de jubilation acide et aussi, malgré tout, de compassion pour l'Etre humain, risque fort de leur échapper.

  • : Bon, d'accord, il y aura toujours des fêlés pour tomber en admiration devant l'attirail de drogues pas possible exhibé par nos deux compères. Mais il est impossible que, tout fêlés qu'ils soient, ils ne se rendent pas compte que la douleur - et elle seule - une douleur que Thompson décrit comme flamboyante, intense, corrosive, est toujours au rendez-vous. Cela observé, chacun détruit son cerveau comme il l'entend ...

samedi, février 4 2012

Winesburg-en-Ohio - Sherwood Anderson

Winesburg, Ohio Traduction : Marguerite Gay

Extraits

La collection "L'Imaginaire", chez Gallimard, est vraiment passionnante. Elle permet de se procurer, à des prix raisonnables et dans une édition soignée, des textes qui ne viennent pas toujours à l'esprit et que l'on découvre avec plaisir dans un catalogue qui recense aussi bien le "Billy Budd" de Melville,que des romans de J. M. G. Le Clézio. En prime, parfois, un DVD - comme pour "Contes de Pluie & de Lune" de Ueda Akinari.

C'est donc dans cette collection que je viens d'achever le recueil de nouvelles le plus connu de Sherwood Anderson, auteur-phare de la littérature américaine qui influença Thomas Wolfe et John Steinbeck - pour ne citer que ces deux grands noms. "Winesburg-en-Ohio" comporte vingt-et une nouvelles se déroulant toutes dans cette petite ville du Middle West, avant la Première guerre mondiale, et comportant tout un lot de personnages récurrents. Celui de George Willard, tout jeune homme qui, dans les bureaux de la gazette locale, rêve de devenir un véritable écrivain, symbolise l'alter ego de l'auteur. Un alter ego évidemment jeune et encore bourré d'illusions mais qui, déjà, laisse percer la sensibilité unique qui lui permettra de se faire un nom dans la littérature américaine.

La nouvelle est un art difficile, peut-être plus que le roman - et le Grand Dieu Thot lui-même sait combien la voie de ce dernier, bien qu'impériale, peut se révéler traîtresse ... En ce qui relève de la nouvelle classique et n'appartenant pas à un genre précis (fantastique, policier, etc ...), mon Panthéon était jusqu'ici dédié aux "Trois M" (Mansfield, Maugham, Maupassant) et à Tanizaki. J'y fais une place ce jour pour Sherwood Anderson__ - croyez-moi, il le mérite.

Chez l'Américain, le non-dit ne sert à rien. Tout est expliqué, détaillé, en long et en large. Pour autant, ses nouvelles ne s'égarent pas dans un réalisme frustrant : au contraire, la poésie de ces temps révolus, où les Etats-Unis sortaient à peine de la petite-enfance, s'exprime ici de manière particulièrement délicate. On perçoit la tendresse de l'auteur envers ce petit monde qu'il fixe par l'encre et le papier afin de le sauver du néant, et cette tendresse ressuscite en nous ce qu'il y avait de plus lumineux, de plus doux, de plus aimable dans notre enfance : une bouffée de parfum qui, à peine remontée à notre mémoire olfactive, disparaît à nouveau dans les limbes du souvenir, l'éclat d'un rayon de soleil sur un mur bleu, que nous contemplions en rêvant (mais à quoi, déjà ?) dans notre lit d'enfant, la voix de notre grand-mère s'échappant par la porte de la cuisine, à la suite de l'odeur du café au lait, le pépiement du canari dans sa cage brunie par le temps, ce calme prodigieux des dimanche-matins, sur le chemin de l'église, la tarte aux pommes qu'on achetait ce jour-là et seulement ce jour-là ... __Peu d'écrivains, qu'ils soient nouvellistes ou romanciers, sont capables de vous faire revivre tout cela en vous invitant dans leur univers. Pour moi, il n'y a eu que Proust, Mansfield, Joseph Roth ... et Sherwood Anderson

Son style, fluide, imagé - et presque aérien - creuse au plus profond du sentiment, de l'émotion, du personnage. Anderson veut comprendre mais il veut aussi que son lecteur comprenne. Il délaisse la suggestion et le non-dit, techniques si fréquentes dans la nouvelle, ou plutôt, il repousse leurs limites, ce qui caractérise plus souvent la méthode du romancier. C'est, selon moi, ce qui fait la spécificité mais aussi la puissance de cet auteur. Une puissance qui ne s'impose pas comme une masse mais qui nous encercle peu à peu, mine de rien, presque en se jouant, et nous retient pour toujours.

A lire et à relire sans modération.

Cercueils sur Mesure - Truman Capote

Handcarved Coffins Traduction : Henri Robillot

Extraits Personnages

Extrait du recueil d'articles et d'entretiens "Musique pour Camélons", "Cercueils sur Mesure" se présente sous la forme d'une série de conversations entre Capote et les différents protagonistes de l'affaire. Ici et là, les notes du journal de l'écrivain. Il s'agit d'une histoire authentique, un peu, toutes proportions gardées, comme celle qui servit de base à "De Sang-Froid", rapportée ici à Capote par un détective de ses amis qui connaissait son intérêt pour les récits curieux, surtout s'ils étaient pris dans la réalité.

L'ensemble laisse perplexe : on se demande où Capote veut en venir exactement. Il démarre sur des chapeaux de roue et on le sent, ma foi, aussi émoustillé que le lecteur par ces cercueils miniatures dont l'envoi chez telle ou telle personne est suivi, au bout de quelques mois, de la mort violente de l'intéressé. Les cercueils sont visiblement "faits main" par un artisan ou un bricoleur habile. A l'intérieur de chacun, une photo de la (ou des) future(s) victime(s). Souvent, la photo est rare et on se demande où, comment, voire par qui elle a pu être prise.

Les morts enregistrées vont du fait divers difficilement explicable - un couple devient prisonnier de sa voiture où sont coincés avec lui une palanquée de serpents venimeux rendus furieux par des piqûres d'amphétamines - à l'accident banal - la noyade d'Addie, la fiancée de l'enquêteur. Mais une chose est sûre : de manière insensible, le nombre de ceux qui ont osé s'opposer, dans une affaire de barrage de rivière, à Bob Quinn, riche propriétaire foncier et notable respecté de la petite ville où sévit la Faucheuse traquée par Jake Pepper, diminue chaque jour un peu plus.

Jusqu'au final, Capote maintient l'ambiguïté : Quinn est-il, oui ou non, responsable de cette hécatombe ? Le lecteur ne le saura pas et ce n'est d'ailleurs pas là le but recherché. L'écrivain réfléchit d'une part à la possibilité du meurtre parfait et, d'autre part, au fait - plutôt dérangeant - que les sympathies et les compromissions, les intérêts des uns et des autres dans une petite ville de l'Amérique profonde, sont susceptibles de jeter le voile bien opaque de l'oubli volontaire sur ce qui demeure une impressionnante succession d'homicides.

Au fur et à mesure que la figure de Jake Pepper, l'enquêteur qui met Capote sur le coup, sombre dans une sorte d'obsession paranoïaque, la figure de Bob Quinn, meurtrier présumé, gagne en crédibilité et en force de conviction - alors que, tout bien considéré, ce type, capable de tuer seulement parce qu'on s'oppose à lui, est lui aussi tout proche de la folie.

Capote expose les faits, nous fait partager la chaleur d'un moment au coin du feu, chez Addie, précise l'affaire du barrage, enregistre scrupuleusement les changements que la mort de sa fiancée occasionnent dans la psyché de Jake, note également ses doutes personnels comme ceux de la propre soeur d'Addie et, en définitive, nous abandonne sur la vision ultime d'un Bob Quinn pas si antipathique que ça. Et c'est là la différence radicale avec "De Sang-Froid" : on dirait que Capote, en dépit de tout, prend parti - et qu'il le fait en faveur d'un assassin qui est, au mieux, un fou, au pire, un tyran local.

Comme d'habitude - ou presque - le style et la technique sont d'une qualité exceptionnelle. Capote sait dès le début où il va et où il veut nous entraîner. Ce que l'on ne parvient pas à définir, c'est l'image qu'il veut nous donner non de Jake Pepper ou de Bob Quinn, mais de lui-même, le rapporteur des faits. Il faut un certain temps avant de se rendre compte que l'interrogation première de Capote vise ce qu'il fut et demeure et, une fois qu'on l'a saisi, on s'en retrouve deux fois plus déstabilisé que s'il s'était contenté de manifester sa sympathie envers Bob Quinn. Est-ce une façon de sacrifier une fois encore à la culpabilité qui le dévorait depuis "De Sang-Froid", ce chef-d'oeuvre qu'il mena à sa perfection en acceptant d'user de son charme envers l'un des jeunes assassins ? Est-ce une façon de nous révéler que, oui, il avait bien été séduit par un meurtrier mais que, de toutes façons, un meurtrier peut se révéler objet de fascination, d'adoration ? Ou bien encore Capote tente-il ici de nous prouver que la différence qui marque l'artiste-créateur trouve un écho, si noir soit-il, en un assassin qui se prend pour la main de Dieu ? (C'est, grosso modo, le cas de Bob Quinn.)

Beaucoup de questions, et pas des plus simples. Aucune réponse - ou alors, il y en a trop. Capote exécute une dernière pirouette et nous laisse seuls, face à elles.

vendredi, février 3 2012

Mon Antonia - Willa Cather

My Antonia Traduction : Blaise Allan

Extraits Personnages

Introduit par la citation deVirgile : "Optima dies ... prima fugit" ("Ce sont les temps les plus heureux qui s'enfuient les premiers" - traduction libre), "Mon Antonia" prouve certes que les plus grands nouvellistes, ce qu'était indubitablement Willa Cather, sont beaucoup moins à l'aise, perdus sur le vaste fleuve du roman. Mais il suffit de faire un petit effort, surtout si l'on a déjà été séduit par l'univers de la nouvelliste américaine, pour accrocher à l'histoire de la petite Antonia Shimerda, émigrée de sa Hongrie natale avec toute sa famille pour trouver fortune dans les plaines du Nebraska.

Elle nous est contée par Jim Burden, qui a grandi avec Antonia et qui, dans sa jeunesse, eut certainement pour elle un sentiment amoureux. Mais au-delà la destinée d'Antonia et de sa famille, au-delà celle des fermiers, puis des citadins qui les entourent, c'est une page de l'immigration européenne sur le Nouveau continent que Willa Cather nous dépeint ici, avec fierté mais aussi avec une nostalgie douce-amère.

Des émigrants, il y en a partout aux Etats-Unis en ce tout début du XXème siècle : les plus anciens fermiers eux-mêmes ne sont-ils pas, pour la plupart, issus de colons anglais ? Outre les Shimerda qui arrivent directement de Bohême, on y croise une forte colonie scandinave, Norvégiens et Suédois pour la plupart, des Tchèques et même deux Russes. Avec plus ou moins de bonheur, tous affrontent une nature superbe mais exigeante et résolument hostile lorsque se lève l'hiver. Et, à quelques exceptions près, se montrent solidaires les uns des autres. Nous sommes bien loin de l'Amérique hyper-consumériste qui va se développer après la Grande guerre et culminer avec la fin du siècle.

A un point tel que le lecteur, européen ou pas, est en droit de se demander ce que penseraient les modèles dont Cather se servit pour donner vie à ses personnages de leurs actuels descendants.

Plus qu'un roman véritable, avec intrigue complexe ou flux de conscience, "Mon Antonia" est surtout un hommage délicat et attendri, rendu par Willa Cather à son pays natal et aux pionniers ses ancêtres. Il doit se lire comme tel, en se laissant bercer par son rythme paresseux.

mardi, janvier 31 2012

L'Histoire de Bone - Dorothy Allison

Bastard Out Of Carolina Traduction : Michèle Valencia

J'avais ce livre sous le coude depuis près de quatre ans et je ne me décidais pas à le lire. Bien que j'achète régulièrement des ouvrages traitant de l'inceste, il me faut parfois bien du temps pour "passer à l'acte" et les lire.

"L'Histoire de Bone" a en effet pour pivot les violences incestueuses que lui fait subir son beau-père, Glenn Waddell, un bon à rien que sa mère a épousé non sans méfiance, après qu'il lui eût fait la cour pendant près de deux ans mais dont elle a fini, hélas ! par tomber éperdument amoureuse, corps et âme.

La petite Ruth, surnommée "Bone" en raison de la finesse de sa morphologie, est née alors que sa mère avait tout juste seize ans. De son père, on ne sait pratiquement rien, si ce n'est qu'il était marié. Dans cette Caroline du Sud qui émerge à peine de la Seconde guerre mondiale, le statut de bâtarde n'est guère enviable mais, heureusement pour Bone, elle est entourée par la chaleur et l'affection de ses innombrables tantes et oncles maternels.

Bone a une soeur, Reese, née de l'union légitime de sa mère avec Lyle, un ouvrier agricole qui est mort dans un accident stupide.

Quand paraît pour la première fois l'ombre de Glenn Waddell, Bone et sa soeur n'ont pas vraiment d'a priori. Il leur semble aimer passionnément leur mère - et c'est sans doute vrai - et fait du mieux qu'il peut pour leur manifester, à elles aussi, un minimum d'affection.

Mais le jour même où sa mère accouchera du fils mort-né de Glenn, Bone comprendra tout son malheur ...

Il n'y a, dans ce roman qui dépeint à la fois une perversion sexuelle plus fréquente qu'on ne le croit et la pauvreté d'un certain milieu paysan, aucune volonté de mélodrame. Tout y est brut et carré, magnifié par cette haine douloureuse qui, tant d'années après, déchire encore l'auteur. Car, même après le viol de sa fille, la mère accepte de suivre Glenn qui, peu soucieux des foudres de la justice, quitte l'Etat .

Dans des conditions pareilles, peut-on pardonner ? Au violeur, non, car - et la photographie de l'auteur vous le prouvera aisément - la chair demeure à jamais marquée. A la mère, alors ? ... Dans cette histoire, la mère se contente au début de laisser Glenn "corriger" son aînée et elle ne semble pas comprendre qu'il prend un plaisir purement sexuel à ce qu'il se passe entre l'enfant et lui derrière la porte fermée de la salle-de-bains. Certes, elle soigne ensuite l'enfant et l'on peut croire qu'elle aime sa fille ...

Mais ...

Dans ces histoires-là, il y a toujours un "mais."

Quand on aime vraiment son enfant, on ne laisse pas une brute se venger sur lui des déceptions que lui cause, entre autres exemples, sa recherche d'un emploi. Puis, quand ces "corrections" deviennent quasi quotidiennes, on a l'honnêteté de se poser des questions. Enfin, quels que soient les sentiments que l'on éprouve envers la brute en question, on se doit de mettre ses enfants à l'abri. C'est ce que finira par faire d'ailleurs la mère de Bone mais seulement quand le viol sera devenu effectif - en d'autres fermes, quand elle ne pourra plus se voiler la face ou la détourner ... Sa fille a alors treize ans : sa destinée est scellée ; pour elle, qui doit déjà vivre avec la "tache" de la bâtardise, il est trop tard.

Je doute fort que Dorothy Allison ait pardonné à sa mère. Mais le pire, c'est que je doute tout autant qu'elle soit parvenu à éteindre en elle tout amour filial et que je sais que cette toute petite braise doit cohabiter avec un maelstöm de haine pratiquement ingérable.

Sauf par l'écriture qui, en pareilles circonstances, mérite plus que jamais son titre de "don des dieux." ;o)

Le Dieu des Cauchemars - Paula Fox

The God Of Nightmares Traduction : Marie-Hélène Dumas - Préface : Rosellen Brown

Extraits Personnages

Roman initiatique dont le cheminement quelque peu douloureux n'apporte en fait qu'illusions à son héroïne, Helen Bynum, "Le Dieu des Cauchemars" vaut surtout - mais ce n'est que mon avis - par la petite galerie de personnages sortant de l'ordinaire qui y occupent la case - centrale - de La Nouvelle-Orleans.

C'est en effet dans cette ville qu'atterrit un jour Helen, envoyée par sa mère afin de tenter d'y récupérer sa tante Lulu, ancienne danseuse de la troupe Ziegfield et ancienne beauté de music-hall. Le prétexte donné par la mère d'Helen : maintenant que sa fille est prête à vivre sa propre vie, elle souhaite ne pas rester toute seule dans la vieille ferme qu'elle exploite depuis le départ de son mari. En réalité, Mrs Bynum se doute bien que sa soeur, perdue dans ses souvenirs et son désespoir d'alcoolique, ne reviendra jamais et que, même si elle sacrifiait à l'amour fraternel, elle n'aurait pas la patience de s'enterrer avec elle dans une toute petite ville perdue de l'Etat de New-York. Mais lorsqu'Hélène s'en apercevra à son tour, il sera trop tard : gagnée elle-même par l'atmosphère de La Nouvelle-Orleans et grisée par l'assurance de ses premiers pas - à vingt-trois ans - loin de la maison familiale, la jeune fille, elle, ne voudra plus entendre parler de rentrer au bercail.

Ce n'est pas que Mrs Bynum n'aime pas sa fille. Bien au contraire. Mais la nouvelle de la mort de son mari, Lincoln, annoncée par une lettre adressée, par la femme avec laquelle il vivait depuis treize ans, non à elle, l'épouse bafouée, mais à Helen, l'enfant préférée, vient de réveiller le souvenir d'une autre lettre dans laquelle Lincoln accusait son épouse de vouloir garder Helen pour elle seule - et, partant, de s'apprêter en connaissance de cause à lui gâcher l'existence ...

Il faudra bien du temps à Helen pour comprendre la raison véritable qui a poussé sa mère à l'engager à partir en quête de la tante Lulu. Et son univers se sera considérablement enrichi avant qu'elle ne prenne conscience du cadeau qui lui a été ainsi fait par une mère envers qui, pour être franc, elle ne ressentait guère qu'irritation maussade et semi indifférence.

Au bout du compte, elle s'apercevra aussi que son passage à La Nouvelle-Orleans fut sans aucun doute l'époque la plus aimable, la plus captivante - et certainement la moins routinière - de son existence. Ce qui, somme toute, est bien peu.

Désenchantement, demi-teintes, nuances, non-dits également, manière qui rappelle les auteurs anglais comme Barbara Pym et Elizabeth Taylor, "Le Dieu des Cauchemars" est un de ces livres où il ne paraît pas se passer beaucoup de choses. Et pourtant, quand on y regarde bien, on y trouve le désir de découvrir d'autres livres de Paula Fox. Ce qui, finalement, n'est pas si mal.

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